14 août 2005

Kertch. Les carrières d'Adjimouchkaï.

Grâce au couple germano-biélorusse, je trouve une chambre à l'Hôtel Meridian, un hôtel typiquement soviétique, bien glauque. Le formulaire à remplir à la réception est en russe uniquement. J'ai l'air si désespérée que la réceptionniste le remplit pour moi, avec l'aide de la Biélorusse. Comment écririez-vous "lieu de naissance" en russe ? Et si vous ne savez pas, comment le mimeriez-vous ? :-)

Je marche jusqu'au centre-ville, puis je grimpe les escaliers jusqu'en haut de la colline Mitridat, célèbre pour ses ruines grecques. C'est raide, il y a peu de ruines et elles ont été si lourdement restaurées qu'elles ont l'air fausses. Au suivant !

Les carrières souterraines d'Adjimouchkaï ont abrité des résistants pendant la Seconde Guerre Mondiale. Leur résistance a marqué une étape importante dans la guerre contre le nazisme, et Kertch y a gagné le titre de "Ville Héroïque", comme 15 autres villes soviétiques, dont Odessa et Sevastopol. Je vais devoir chercher combien d'entre elles ont des carrières souterraines :-)

Aujourd'hui, il y a un musée dans ces carrières. L'entrée est monumentale. Très bon exemple d'absurdité soviétique, elle est en béton, alors qu'il y avait abondance de pierre sur place.




Je dois attendre une heure avant la prochaine visite, alors je poursuis le chemin jusqu'à un autre monument souterrain : Tsarsky Kurgan est un mausolée du 4e siècle. Un couloir long et haut mène à une chambre funéraire. L'architecture est surprenante mais élégante, toute en encorbellement. Au dessus, il y a une colline artificielle. Ca prend 5 minutes pour en faire le tour. Je zappe le commentaire en russe.




Je reviens au Musée de la Résistance pour la visite guidée (en russe, bien sûr). Il ressemble beaucoup à celui d'Odessa. On y voit des système de défense, avec entre autres un "piège à bruit" futé : des objets sonores (boîtes de conserve, bouteilles...) sont étalés sur le sol ; au cas où les nazis essayeraient d'entrer dans la carrière pendant le sommeil des résistants, ils se prendraient les pieds dedans et le bruit réveillerait les résistants. Il y a aussi un malheureux bout de tissu sensé protéger des attaques au gaz.

On visite les reconstitutions classiques de cuisine, puits à eau, dortoirs, hôpital, nurserie, etc. La guide en rajoute dans l'emphase et le patriotisme. Il y a plusieurs monuments aux morts, construits après la guerre en granit rouge, qui a l'air ridicule dans une carrière de calcaire.



(photo de piètre qualité, désolée)

La carrière est sombre comme une mine de charbon, à cause de la fumée. La hauteur varie de 1 m 60 à 3 m. Elle était exploitée à la scie. Certains endroits sont partiellement remblayés.







Les nazis ont bombardé le secteur. Le ciel est tombé en de nombreux endroits :




Après la visite, je fouine du côté des cratères de bombardements à la recherche d'entrées non officielles. J'ai de la chance : d'un des trous surgissent des diggers avec leurs outils. Ils ont fini leur journée. Les premiers ne parlent pas anglais, mais ils sont si nombreux qu'à la fin, deux d'entre eux parlent un peu anglais. Au début, ils sont très réticents à parler de leur chantier, mais je finis par les convaincre de me montrer où et comment ils creusent.





Qu'est-ce que les diggers ?
Les "creuseurs" sont des gens qui creusent dans les champs de bataille à la recherche de restes d'armes, de munitions, d'uniformes, de médailles, de vaisselle, etc. En général, ils cherchent des traces de la "Grand Guerre Patriotique" (la Seconde Guerre Mondiale), et parfois de la Première Guerre Mondiale, voire de la Guerre de Crimée (1854-1856).
Il y a les "bons diggers" qui travaillent sous la supervision d'archéologues et font don de leurs trouvailles à des musées. Et il y a les "mauvais diggers" qui creusent pour l'argent et vendent leurs trouvailles à des collectionneurs.
Le site http://www.theserpentswall.com/ est très complet, il donne une bonne idée des méthodes et des motivations des diggers, mais je dois avouer que son authenticité est douteuse. Il s'agit probablement d'un fake.
Les diggers sont souvent passionnés d'Histoire, et une conversation avec eux peut faire douter de ce qu'on a appris à l'école, et se demander de quel côté du rideau de fer il y avait le plus de propagande. Une question aussi simple que "Qui a gagné la Seconde Guerre Mondiale ?" peut avoir une réponse inattendue.
Une définition plus large des diggers inclut les spéléos, cataphiles et autres explorateurs de souterrains, même s'ils ne creusent rien.



Alors, qu'est-ce qu'il y a dans leur trou ? Ils creusent dans un secteur bombardé. C'est le genre d'endroit où ils ont de bonnes chances de trouver des choses, parce que les objets - et les personnes - ont été piégés quand la carrière s'est effondrée. Ca fait 6 étés qu'ils creusent ici, et ils ont encore trouvé des morceaux d'armes, de la vaisselle et... des os humains.

Autour de leur chantier, la carrière s'étend, mais ils ne s'y aventurent pas. Ils ne s'intéressent pas aux carrières. La pierre est noircie par la suie, comme dans le musée.

Nous convenons d'un rendez-vous le soir, pour aller boire un verre au centre-ville, et d'un autre demain pour la visite d'une autre carrière.
Le soir, je retrouve Ivan le Digger, Ivan le Cataphile et sa copine Mariana. Ils parlent tous anglais. Nous bavardons et buvons des bières au bord de la mer. Ils essaient de m'apprendre des insultes en russe. On voit les lumières de l'autre côté du détroit - des lumières russes.